« Vivre mes différences,
Où sauver les apparences,
Prisonnier de jolis mensonges,
Quand la peur de la vérité nous ronge.
Entre rêve et réalité,
Je cherche mon identité,
Pourquoi c’est laid? Pourquoi c’est beau ?
Qui connaît le vrai du faux »
Les charts : « Je ris, je pleure »
Jean-Marc fixait avec minutie chacune des électrodes sur les extrémités du crâne d’Anne-Marie. Pendant ce temps, Évelyne lui commentait l’expérience en ces termes :
Tu comprends, le sommeil paradoxal se caractérise par des mouvements oculaires rapides, une respiration et un rythme cardiaque irréguliers, une augmentation de la température corporelle, mais surtout, une intense activité onirique et un électroencéphalogramme désynchronisé comparable à celui observé à l’état de veille.
En gros, quand tu rêves, le cerveau semble fonctionner comme lorsque tu es éveillé, repris Jean-Marc. Avec ces électrodes, je vais pouvoir mesurer l’activité de ton cerveau pendant ton sommeil.
Oui, je comprends, dit pensivement Anne-Marie, marquant une pause avant de reprendre. Je n’ai rien contre le fait de faire le cobaye mais tu n’as pas d’autres activité le soir, je ne sais pas moi… regarder un film par exemple ? En tous cas, pas question qu’on me rase le crâne pour mettre ces foutues fils. Mais que cherches-tu à comprendre ou à mettre en évidence à la fin ? Ces expériences ont déjà été réalisées par d’autres, non ?
En effet, repris Jean-Marc. Dès 1937, le neurophysiologiste américain Alfred Lee Loomis mit en évidence cinq phases successives dans une nuit de sommeil grâce à l’électroencéphalogramme, qu’il nomma de A à E. Par la suite, on a réduisit les phases à 4 stades, les phases A et B constituant le premier. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le quatrième stade.
Jean-Marc se tourna vers son ordinateur. Là où tout le monde utilise un écran de taille moyenne; lui avait opté pour un écran géant de plus d’un mètre de diagonale. Il prétextait voir mieux ainsi, mais cela devait aussi flatter son égo. Il entra quelques commandes au clavier et cliqua sur divers boutons . Aux yeux d’un néophyte, cela pouvait ressembler à n’importe quelle activité de bureautique, mais Jean-Marc, en plus d’être un bricoleur de génie, était également un très bon programmeur. Il avait réalisé un programme très complexe d’analyse des EEG. L’ambiance était fantasmagorique, des couleurs bleues et rouges se croisaient dans un ballet incompréhensible, de petits flashs venaient ponctuer cette danse folle, comme dans une boite de nuit… mais hightech, avec des câbles, et des appareils compliqués de part et d’autres. Ces petites lumières hypnotiques devait aider à induire le sommeil… ou pas. De toute façon, personne ne savait utiliser ce matériel en dehors de Jean-marc. Et si Évelyne comprenait le sens de ses recherches, elle n’en restait pas moins qu’une assistante aidant au maintient du moral des troupes… et de l’approvisionnement en sandwichs.
Ne trouve tu pas étrange, ce besoin de dormir repris Jean-Marc ? Il est vrai que c’est un état naturel chez la plupart des êtres vivants. Mais si on raisonne froidement, il s’agit ni plus ni moins d’un état naturel récurrent de perte de conscience.
Oui, d’ailleurs, l’homme passe près d’un tiers de sa vie à dormir… quelle perte de temps s’exclama Évelyne ! D’ailleurs, ce n’est pas forcément une obligation… alors que l’on pensait qu’aucun animal ne pouvait vivre sans sommeil, chose vérifiée chez les rats et les oiseaux, des observations d’orques et de grands dauphins ont prouvé le contraire ! Une équipe de chercheurs de l’Université de je ne sais plus où, a remarqué que pendant le mois suivant leurs accouchements, les femelles et leurs petits ne dormaient pas.
Gérard, qui n’avait dit mot jusqu’à présent, lâcha soudainement : Parce que tu crois que j’ai dormi moi quand notre premier est né ? Impossible de fermer l’œil, il devait avoir un détecteur à sommeil incorporé car dès que j’allais m’endormir, il se mettait à brailler comme une sirène d’incendie… je trouve qu’il n’a pas vraiment changé d’ailleurs…
Anne-Marie lui décocha un regard réprobateur avant d’oser : Je suppose que cela leur permet d’échapper aux prédateurs ?
Oui, entre autres, repris Éveline, mais aussi, ça permet aux petits de favoriser une croissance rapide de leur cerveau et de leur corps. Petit à petit, les femelles et leurs petits retrouvent un rythme de sommeil « normal ». Mais aucun ne semble vraiment souffrir de ce mois de veille.
Gérard enchaina : j’ai entendu dire que la méditation pouvait remplacer en partie le sommeil. Je ne pourrai pas corroborer car je n’ai jamais réussi à méditer sans m’endormir… d’ailleurs, je commence à bailler, j’irais bien faire un petit somme – tu aurais du coller les électrodes sur mon crâne poursuivit-il à l’égard de Jean-Marc..
Ce dernier enchaina : Le sommeil est naturellement induit par l’arrêt de sécrétion d’histamine, le neurotransmetteur qui permet au cerveau de rester en éveil. En fait, c’est un peu plus compliqué, mais ce que je peux dire, c’est que nous sommes programmés pour dormir.
On ne va pas s’en plaindre. Mais qui n’aime pas dormir d’ailleurs ? Pour ma part, j’aimerais me réincarner en paresseux, et passer mes journées accrochés sur une branche et ne bouger que pour manger et voir les filles… repris Gérard.
Et bien moi j’ai l’impression que tu n’as pas attendu de te réincarner pour imiter ce pauvre animal lança Anne Marie, accompagnant ses mots d’une tape sur la tête de son époux. A 70 ans, il ne pense qu’à manger et à embêter les jeunes filles.
Il a bien raison repris Évelyne en lui massant les épaules, d’ailleurs, je le trouve frais comme un gardon.
N’en profitez pas pendant que je vais dormir, tous les deux là, repris Anne-Marie avec un sourire complice. Bon, tu fais quoi Jean-Marc ?
Jean-marc qui ne s’était pas joint à la conversation continuait à régler ses appareils. On pouvait voir sur l’écran plusieurs courbes avec différents visages devant chacune d’elle. Celle qui devait correspondre à Anne-Marie était plate car l’enregistrement n’avait pas commencé. Les autres courbes étaient en dents de scie. Gérard qui s’était penché sur l’écran pensait aux actions de DATACORPS qu’il avait acheté le matin même. D’une certaine façon, cela y ressemblait, il y avait un coté chaotique à ces oscillations. Après avoir reposé la souris de son ordinateur, il se tourna vers Anne-Marie et lui braqua une petite torche dans le yeux avant de dire :
Oui, excuse moi, c’est prêt. Juste une petite vérification. C’est parfait, la réaction rétinienne est parfaite. Nous allons commencer. Je vais demander aux autres de reculer et de vous placer derrière la vitre afin de laisser un peu d’intimité à Anne-Marie. Je vous conseille aussi de porter les lunettes que je vous ai passé et de mettre vos casques si vous ne voulez pas tomber comme des mouches. Je vais te mettre sous hypnose et réaliser une induction rapide au sommeil. C’est totalement sans danger. Tu es prête ?
Euh… oui, je crois…
Bon, c’est très bien. Bonne nuit Anne-Marie.
Anne-Marie s’allongea délicatement et fixa le plafond sur lequel était projeté tout un tas de lumières et de petits flash hypnotiques. Des voix s’élevèrent dans l’air, toutes parlaient simultanément mais chacune véhiculait un message différent. Anne-Marie tenta d’écouter l’une des voix, mais son attention était vite attirée par un autre discours, puis un autre. Au bout de quelques instants, elle lâcha prise. Elle commença à fermer les yeux et à repenser à sa journée. Ses paupières étaient fermées, mais des couleurs passaient brièvement dans son champ visuel. L’une d’elle, le jaune, lui rappela les tulipes qu’elle aimait tant et qu’elle cultivait dans son jardinet quand elle habitait un petit pavillon près de Paris. Aujourd’hui, elle n’a plus la force de jardiner. Et cette saleté de lapin qui lui mettait le souk dans… mais oui, c’est encore lui. Mais que fait-il ici dans son bureau. Un bond et il traverse le cadre accroché au mur. Anne-Marie fit un bond…
Tu as vu, elle a sursauté. Je crois qu’elle dors déjà – elle doit rêver, no ? S’exclama Évelyne.
Oui, reprit Jean-Marc, d’ailleurs regarde le tracé. Tu vois ces mouvements irréguliers de grosse amplitudes qui ont commencé il y a quelques secondes. On voit bien la différence.
Ah oui.… Gérard était absorbé par l’écran. Il semblait vraiment impressionné par ce qui se déroulait devant lui. Alors, de quoi rêve t‑elle ?
Ce n’est pas le plus important. D’ailleurs, je serais incapable de répondre à cela. Par contre, ce que j’ai découvert est bien plus intéressant. Tiens, regarde. Jean-Marc cliqua tout d’abord sur la courbe liée au profil d’Anne-Marie. Cette dernière passa en grand écran et se divisa en 2 autres courbes. Tu vois, la première, c’est celle liée à l’activité principale du cortex. La seconde, c’est une extraction d’une partie de la courbe que j’ai tout d’abord interprété comme un parasitage du signal. Cela pouvait venir des électrodes ou d’une perturbation électromagnétique… mais je n’étais pas convaincu. Tu te rappelles m’avoir aidé à passé tout un ensemble de câbles dans les murs ?
Euh… oui, j’ai cru que tu avais pêté un boulon et que tu voulais transformé ton laboratoire en grille pain géant !
C’était pas loin dit Jean-Marc en clignant d’un œil. J’ai reconstitué une cage de faraday pour empêcher toute perturbation de l’extérieur. J’ai aussi remplacé les électrodes par d’autres, plus sensibles, mais surtout, sans les défauts des premières. Et j’ai obtenu, de façon encore plus nette, cet autre signal. Il est multiplexé au premier… en langage clair, il est contenu dans le premier, mais n’est pas visible au premier abord, il est comme caché. C’est en cherchant des correspondances entre plusieurs courbes de différents sujets que j’ai réussi à isoler cette séquence.
Hé bien, je commence à avoir la chair de poule intervint Évelyne. Alors, qu’as-tu découvert ?
Tout d’abord, j’ai extrait cette séquence et je l’ai remise sous forme numérique. Je l’ai passé dans divers filtres afin de découvrir une sorte de logique ou de correspondance avec d’autres séquences, et ce que j’ai découvert m’a stupéfait ! Tenez-vous bien, le programme a trouvé des correspondances à hauteur de 97% avec le scan d’un vieux texte en araméen, la langue parlé par le christ, un texte que nous n’avons d’ailleurs jamais compris réellement le sens. Dans nos rêves, il y a donc comme des images d’un texte, vieux de plus de 2500 ans qui passe devant nos yeux… et le plus intriguant est que c’est le même texte pour chacun des sujets.
Anne-Marie toucha le tableau avec l’index. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que la surface du tableau était molle, comme gélatineuse. D’ailleurs, de la peinture était restée sur son doigt. Elle appuya d’avantage et son entier passa dans le tableau. Elle senti quelque chose de froid remonter le long de sa main, puis de son bras. D’un coup, c’est comme si elle était aspirée par le tableau. Elle tenta de résister, mais en vainc. Quand son visage heurta la surface de la toile, elle pouvait sentir cette odeur de peinture, le froid la gagnait. Elle paniqua, allait-elle se noyer … puis, plus rien. Il faisait noir. Le temps que ses yeux ne s’accommodent, elle commençait à apercevoir le lapin blanc. Il se dirigeait vers une sorte de porte d’où filtrait une autre lumière, plus chaude. Elle senti le froid derrière elle et se retourna. Quel étrange spectacle que de voir son bureau comme par une fenêtre – à cela près que la fenêtre, c’est ce tableau que Gérard avait peint. D’ailleurs en se retournant, c’est bien cette porte qu’il avait dessiné à l’époque. C’est comme si elle se trouvait dans le tableau… Est-ce possible ? Elle se sentait comme Alice au pays des merveille qui avait suivi le lapin dans son terrier. Quel étrange parallèle d’ailleurs… Elle se dirigea vers la porte, le lapin avait disparu. Elle tourna timidement la poignée et une nouvelle lueur embrasa la pièce. Il y avait derrière cette porte… comme un soleil ! Un soleil resplendissant, brillant de mille feux, apaisant… et troublant à la fois. La pièce était en réalité une sorte de cave. Elle pouvait maintenant distinguer un présentoir au centre de la pièce, avec un vieux manuscrit en son centre. Intriguée, elle s’en approcha et promena sa main sur la couverture du vieux livre. Il était fait d’un drôle de cuir, aussi lisse que de la peau humaine pensa t‑elle. Et sur le coup, cette pensée la dégouta. Mais la curiosité fut plus forte. Elle ouvrit le livre et ce qu’elle vit était encore plus étrange que le reste. Au lieu de trouver des signes, une écriture à déchiffrer… elle vit… des choses mouvantes, comme des écritures, mais vivantes. Ces dernières bougeaient d’une drôle de façon. On eut pensé qu’elles voulaient raconter une histoire à leur façon. Elle s’approcha pour mieux voir, plissa les yeux comme si elle pouvait contrebalancer cette danse folle dans laquelle s’était lancée les signes écrits sur le papier… et d’un seul coup, ils s’illuminèrent et une voix résonna dans son crâne.
« Vie. »
Anne-Marie sursauta de nouveau. Qui avait parlé ? Qu’a t‑il dit ?
« Je vis. Je suis. »
Elle senti une profonde paix l’envahir. D’un coup, elle n’était plus seule. C’est comme si tous ses amis, sa famille, toutes les personnes qu’elle avait connu – tous et plus encore, étaient présents. Elle sentait leur amour. Elle se mis à entendre des voix, des chants, c’était magnifique. Avant qu’elle n’ait pu s’en rendre compte, elle volait parmi les oiseaux. Non, ce n’était pas des oiseaux, on aurait dit des hommes, sans visage et avec des ailes. Ils étaient de blanc, maculés, lumineux, magnifiques, et volaient avec grâce et légèreté…
Jean-marc continuait : « Vous voyez, Anne-Marie vient de voir le même texte et les oscillations sont de plus en plus importantes. L’activité est supérieure à celle durant l’éveil. On dirait… mais pourquoi n’y ais-je pas pensé avant… Mais oui, c’est logique finalement.
Quoi, ne garde pas le suspens pour toi repris Évelyne, qu’as-tu découvert ?
Je viens juste d’y penser. Regardez, ça c’est la courbe témoin, lorsque Anne-Marie était éveillée. J’avais démarré l’enregistrement un peu plus tôt. Et à coté, vous voyez la courbe actuelle. On remarque que l’activité est plus importante ici… vous comprenez ?
Mais que faut-il comprendre gros bêta s’énerva Évelyne.
Je crois deviner repris gravement Gérard. Ce que jean-Marc tente de nous dire, c’est que l’activité étant plus importante maintenant, on est en droit de se demander si la phase de rêve, ce n’est pas lorsque nous sommes éveillés.
Ça n’a aucun sens repris Évelyne !
Mais si, au contraire repris Jean-Marc… ça prend tout son sens ici. Et si finalement, nous étions tout simplement entrain de dormir à l’heure actuelle ? Et si Anne-Marie nous avait quitté quelques heures pour s’éveiller à une forme vie, une vie plus consciente que la notre ? Plus simplement, et si le rêve n’était qu’un prétexte pour retourner à une vie encore plus réelle ? Sommes nous réellement éveillés ?
Jean-Marc se réveilla brutalement. Son réveil indiquait 5:00. Il n’avait pas encore sonné, mais il avait pris l’habitude de se lever 15 minutes avant la sonnerie pour ne pas réveiller Anne-Marie, son épouse. Quel drôle de rêve avait-il fait ? C’est très confus, il se rappelait juste qu’il faisait des expériences, et que dans son rêve, il était marié à Évelyne – curieux, l’épouse de Gérard, son meilleur ami. Freud aurait une théorie et Anne-Marie n’aimerait pas l’entendre… Quel drôle de sentiment, une drôle d’impression qui se dissipera dans la matinée. Et cette odeur de peinture qui lui chatouille les narines… Brrr, la matinée est fraiche, vite, filons à la machine à café pensa t‑il, laissant tomber du lit la peluche préférée d’Anne-Marie, un petit lapin blanc qui terrorisait le chat de la maison. Il a vraiment un grain cet animal…
Greg (2002)