Que savons-nous du monde qui nous entoure ? Que savons-nous de nous-même ?
Suggestion sociale et programmation biologique
La société nous préexiste : elle nous donne notre nom, notre existence sur papier, de nombreuses institutions nous prennent en charge (d’autant plus avec l’Etat-providence), elle nous discipline sur les bancs d’école etc., elle affirme sur nous un biopouvoir (Foucault), elle nous livre aux objets culturels (langage, pratiques manuelles etc.).
La sociologie de l’individu (Kaufmann, Lahire, Corcuff, Singly etc.) insiste assez sur ces héritages qui font de nous des endettés de la vie sociale. Nous intériorisons tout au long de notre formation les contraintes imposées par notre rapport aux autres et acceptons les contraintes pour une vie en commun qui nous permet de conserver et de reproduire notre existence. A cause de tout cela, nous ne pouvons avoir un regard objectif sur nous même car cela pourrait heurter notre morale ou bien choquer notre vanité. Si par exemple nous regardons une fillette de 13 ans et que nous sommes pris d’un désir très fort, nous aurons tendance à le refouler car cela n’est pas conforme à l’idée que l’on se fait de soi au sein d’une société dotée d’une morale qui considère qu’une fillette de 13 ayant tous les attributs d’une femme, n’en reste pas moins un enfant. Il est vrai que sur un plan mental nous avons là une enfant, mais notre biologie n’en n’a que faire.
Notre besoin sexuel est dénué de tout code moral et le viol de cette gamine ne constituerait alors que la satisfaction d’un besoin naturel de reproduction. Sur un plan psychologique, cette gamine garderait certainement les séquelles de cet acte barbare toute sa vie, tout en constituant un handicap qu’elle ne surmonterait probablement jamais dans sa relation avec autres et sa sexualité. Elle contaminerait certainement même ses propres enfants d’une façon ou d’une autre et ruinerait sa vie de couple à terme. Tant de destins gâchés par ce que notre biologie fait de nous des animaux et non des hommes.
Notre biologie nous conditionne : nous portons en nous un héritage génétique dans lequel est codé de le développement de notre psyché, ce qui explique probablement pourquoi dans un groupe d’individus proches génétiquement (de même race par exemple, si cela a encore un sens à notre époque), les symboles, les archétypes, sont sensiblement les mêmes, en dehors de tout enseignement, de toute pression culturelle et religieuse.
Notre psyché elle même contient en son sein un ennemi séculaire, un étranger qui dans l’ombre a la plus grande des influences sur nous même : notre inconscient. Pourquoi aimons-nous la glace à la fraise ? Pourquoi cela nous fait-il plaisir de rester au soleil à ne rien faire ? Pourquoi sommes nous extrêmement tendus à la vision d’une araignée ou d’un serpent ? La raison est probablement biologique ou issus d’un souvenir ancestral, sorte de mémoire génétique du temps où par exemple les araignées représentaient peut-être un danger important pour les habitants des grottes que nous fumes ?
Mais nous n’en avons pas conscience directement, seule l’émotion reste perceptible et nous nous identifions à elle, quant elle ne prend pas totalement le contrôle de notre corps comme avec les réflexes. Lorsqu’un homme et une femme ont un coup de foudre, à quel point la génétique en est-elle responsable ?
Des études récentes montrent à quel point le choix de son partenaire sexuel est influencé par le besoin d’un brassage génétique fort. La passion amoureuse, se sentiment indescriptible qui semble échapper à toute logique, révèle ici toute sa substance : cela nous échappe car ce n’est pas nous qui au fond décidons de notre partenaire, mais bel et bien notre inconscient. Gageons toutefois que ce choix ne se limite pas à cela et qu’il inclut un autre facteur lié à l’anima et au besoin de se découvrir au travers de l’autre, sorte de parodie du mariage alchimique.
Nous venons donc de constater que la biologie et la société nous ont conditionné à être ce que nous sommes, c’est à dire, les acteurs d’un système qui confondent leur rôle et leur personnalité profonde.
Alors qui sommes nous en réalité en dehors de ce conditionnement ? Pouvons nous le savoir réellement ? Des robots, oui pas loin… Des fourmis évoluées probablement. Nous sommes des programmes évolués qui tournent sur de fantastiques ordinateurs biochimiques. Oui, nous ne sommes que cela à partir du moment où nous ne faisons que répondre aux stimuli de notre environnement sur la base de notre mémoire des choses, et que nous nous contentons de répondre favorablement aux besoins de notre corps. D’une certaine façon, on peut dire que la destinée existe en effet. Mais nous ne sommes pas que cela. Le fait d’avoir pu produire cette réflexion le prouve. La prise de conscience de cet état hypnotique dans lequel nous vivons n’est pas suffisante pour effacer la suggestion, mais c’est une première étape. Un programme capable de se changer lui même dans des proportions importantes et de comprendre la teneur de son code jusqu’à faire l’abstraction de ce qu’il pourrait produire, peut être qualifié de réellement conscient. La véritable question reste : que serions-nous si nous pouvions échapper à ces différentes suggestions qui font de nous des possédés, des ensorcelés, des zombies en puissance ?
Que savons-nous du monde ? Que connaît le poisson de l’eau dans laquelle il nage ? Outre le fait que nous ne connaissons du monde que ce que nos perceptions nous invitent à connaître, ainsi que grâce à de fantastiques outils scientifiques qui permettent de décupler ces perceptions au travers des abstractions formelles, nous pourrions tout simplement être une pure pensée dans un monde entièrement simulé par notre psyché. Rien ne dit que je suis là assis dans mon lit avec mon ordinateur portable à aligner des mots devant un écran à 1H30 du matin. Je pourrais imaginer tout cela. Cependant, c’est un débat qui ne m’intéresse pas ici car je considère que même si le monde est simulé par notre psyché, même si je suis le seul à exister et que rien d’autre n’est (solisme), cette simulation reste une réalité psychologique. Et c’est cette réalité qui m’intéresse aujourd’hui. Cependant, le monde n’est peut-être absolument pas comme le décrit les livres, comme l’enseignent les professeurs et comme le dépeignent les médias. Il est peut-être très éloigné de tout cela. Tout ce que je sais c’est qu’un jour j’ai pris conscience au sein d’un groupe d’êtres humains qu’on m’a désigné comme parents, amis des parents, famille, voisins, etc.
Certains êtres me ressemblaient et d’autres étaient manifestement plus grands. On m’a très vite envoyé dans un lieu où je devais obéir à d’autres règles et expérimenter la communication avec d’autres êtres, favorisant ainsi mon esprit de compétition et de groupe. On m’a enseigné que pour vivre je devais avoir de l’argent. Que pour avoir de l’argent, je devais en gagner. Pour cela, je devais travailler et capitaliser. Je simplifie à l’extrême mais cela ne change pas le fond des choses. On m’a montré par de multiples exemples que le bonheur se trouvait dans la reconnaissance sociale, dans l’argent et dans la constitution d’un foyer. Mais tout cela est-il vrai ? Est-ce que mon bonheur à moi se trouve réellement là ? N’est-ce pas une illusion destinée à égrener les heures de mon existence ?
De l’intérêt de se connaître réellement
Nous ne savons rien du monde dans lequel nous vivons et notre propre conscience reste pour nous une énigme insondable. Pourtant, chaque jour nous prenons des décisions en fonction des souvenirs que nous avons, de notre ridicule expérience accumulée, des pensées que nous avons figées maladroitement. Et nous filons tout droit vers l’inconnu… N’est-ce pas totalement irresponsable de notre part ? Que pouvons-nous y faire de toute façon ? Nous pouvons désirer … désirer nous extraire de toute cette programmation afin de révéler ce que nous sommes réellement, ou plutôt, devenir ce que nous souhaiterions devenir. Car lorsqu’on prend conscience que nous ne sommes rien de plus que les résultats de nos choix, nous pouvons tout devenir. Comme dans Dark City où le héro prend conscience que son passé est faux et que le monde dans lequel il vit est faux également, décide alors d’être ce qu’il souhaite et de façonner le monde à l’image qui lui plait le plus. Libérés de tous ces mensonges, nous pourrions alors inventer notre propre avenir. Reste cependant qu’il y a du bon dans l’esclavage. Nous n’avons qu’à observer le monde avec le filtre de notre conscience pour que celui-ci soit simplifié à l’extrême. Nous pouvons continuer ainsi à avoir des comportements destructeurs tout en nous réconfortant au sein d’une morale puritaine. Qui pense en mangeant un steak que sans la production de ce dernier nous aurions pu produire d’avantage de céréales afin de nourrir dix fois plus de personnes ? Qui pense à la souffrance psychique de cet animal à l’approche de l’abattoir ? Qui pense que si nous sommes bien au chaud dans nos chaumières, ce n’est pas parce que nous sommes plus courageux que les africains, mais que nous avons eu la chance de naître du bon coté de la frontière et que les gouvernements précédents ont réussi à déstabiliser les états africains afin de pouvoir commercer avec de meilleures marges ? On préfère vivre avec des oeillères car la vie serait difficile à supporter sinon, ou plutôt parce que si nous souhaitions être sincères avec nous même, nous serions obligés de prendre de nouvelles décisions et orientations qui bouleverseraient notre vie et notre confort. Et cela, c’est une étape très difficile à passer.
Je crois qu’il serait illusoire de penser qu’un jour nous pourrons nous débarrasser des suggestions sociales et biologiques dont nous sommes pour le meilleur et pour le pire les victimes. D’ailleurs, il n’y aurait plus de place sur Terre que pour un seul être, les autres devenant alors sources de conflit, de compromis et donc, de limitation de notre propre liberté. Tel est le rôle de la programmation sociale. Si nous nous libérions totalement de notre programmation biologique, nous n’aurions probablement plus de raison d’être car nous n’éprouverions plus aucune émotion. La vie représenterait alors un fardeau dont nous chercherions à nous libérer. D’ailleurs, renier sa nature n’est pas une façon de s’en libérer, mais plutôt d’en devenir l’esclave. Comprendre, accepter, dériver, améliorer, cultiver ce qu’on apprécie et balancer ce qui est devenu inutile (comme la peur des araignées, ou le désir de compléter son ego de façon systématique avec des éléments externes comme la culture et les collections diverses), composer avec ce qui est et demeure — ça c’est une façon d’obtenir la liberté.
Que devons nous faire alors ? La nature a fait de nous des hommes, et la société des êtres humains en devenir. Le stade final n’est pas encore atteint: l’humanité n’est que balbutiante. Nous avons tourné notre regard vers l’extérieur trop longtemps. Nous devons apprendre à coexister ensemble, mais aussi avec les autres habitants de cette planète, ces autres êtres plus ou moins semblables dont certains sont fait de chairs, et d’autres de sève. Nous devons apprendre à vivre sans chambouler notre écosystème ou même l’épuiser. Nous devons comprendre également qu’un virus tel que l’humanité ne doit pas tuer son hôte en proliférant de façon trop importante, car il signerait également son arrêt de mort. Nous devons explorer d’avantage ce qui existe au fond de nous afin de modeler notre avenir et éloigner le risque de la destruction. Nous sommes actuellement en mesure de nous exterminer de façon massive et définitive et notre nature nous aurait mille fois condamné s’il n’existait pas dans le monde des êtres encore plus humains qui eux, ont réussit à dépassé ce stade infantile de la colère, de l’avarice et autres pêchers capitaux dénoncés tant de fois comme étant les racines du mal, mais qui sont pourtant des penchants très naturels. Qu’est-ce qui a de plus naturel que la luxure par exemple ? La recherche du plaisir n’est elle pas un acte naturel. C’est parce que certains ont compris (peut-être d’ailleurs en fréquentant les extrêmes comme le marquis de sade) que la recherche du plaisir entraînait une insatisfaction permanente entraînant le sujet à mettre la barre toujours plus haut jusqu’à rechercher la jouissance au travers de la domination, de la soumission, de la recherche des interdits les plus féroces (du viol au meurtre en passant par la torture), de l’orgie dionysiaque ou l’on quitte son corps pour faire partie d’un tout, mélange absurde de plusieurs membres et corps entassés, enlacés, mélangeant leurs fluides, et où l’esprit laisse place au vide absolu de la soumission la plus totale à une autre entité formée par tous les participants. L’instinct grégaire probablement… Il faut pouvoir visualiser cela pour comprendre que la luxure n’est pas mal en soi, mais qu’elle est la source de maux les plus vils et serviles. Comprendre par exemple que l’héroïne est la source de grands plaisirs, mais qu’elle entraîne le sujet vers la mort après addiction, peut permettre d’éviter d’en prendre. Ce que nous pourrions reprocher peut-être à ces grands esprits qui nous ont avertis des dangers qui nous guettent au travers des dogmes et codes moraux, c’est certainement de ne pas avoir su nous expliquer pourquoi. Mais peut-être faut-il une forte capacité d’abstraction pour réussir à utiliser l’expérience des autres et l’intégrer comme sa propre expérience ?
Il faut donc réussir à expérimenter toute cette sagesse accumulée, et tenter de la compléter par sa propre expérience. Renonçons à tout dogme, à tout Dieu ayant laissé des paroles ou des écrits, à toute doctrine politique. Doutons de tout ce que nous avons appris. Apprenons à connaître notre fonctionnement, à l’instar de l’injonction delphique, connaissons-nous nous-même et nous connaîtrons l’univers des Dieux ! C’est à dire le notre, ou plus précisément, le Dieu que nous pourrions être car chemin et but se confondent ici. Et pourquoi ferions-nous tout cela ? Parce que notre nature nous pousse à rechercher la puissance et que la puissance réside dans notre potentiel à exploiter tous nos pouvoirs, qui sont en sommeil car incompatibles avec l’esprit infantile qui est le notre. Sans le gardien du seuil, nous nous serions exterminés. C’est le cadeau de la nature que d’avoir bridé nos capacités, comme on bride le moteur d’un conducteur du dimanche. Seul un bon pilote ne se tuera pas ou ne blessera autrui en utilisant toute la puissance de sa machine.
Quelle serait donc cette puissance ? Un mémoire illimitée et parfaite, une capacité surnaturelle au calcul mental (comme chez les calculateurs prodiges), un contrôle total de son corps (jusqu’au contrôle de ses pulsations cardiaques, jusqu’à pouvoir contrôler le taux de sang qui passe dans un organe, ou synthétiser à la demande une hormone sans même savoir scientifiquement à quoi elle sert) permettant certainement de ne jamais être malade et de ne pas connaître la vieillesse, une capacité de concentration illimitée, une connaissance des symboles, de leur signification et de leur action sur autrui permettant de manipuler les autres avec une totale aisance, une connaissance innée issue de la mémoire du corps, une acuité accrue de tous nos sens (meilleure vision, meilleure odorat, ouie, toucher et goût), une capacité tout aussi surnaturelle à prévoir les événements à venir, à utiliser son cerveau comme un gros ordinateur en lui communiquant des programmes complexes, … Je ne peux qu’entrevoir l’immense potentiel de notre puissance, dont la plus importante serait peut-être de ne jamais faire de choix entraînant notre malheur et ainsi, d’être constamment heureux. Mais là encore, c’est un esprit limité qui pense cela car que serait le bonheur sans le malheur ? La vie semble tirer son énergie des paradoxes, du mélange des contraires. Pourquoi rechercher cette puissance ? Afin de ne jamais avoir à l’utiliser autrement que pour ne pas se soustraire la barbarerie des autres hommes, ne pas être une victime sans devenir un bourreau.
Comment atteindre cette connaissance ?
Tout cela ressemble fort au principe d’individuation de Jung. Ce dernier aborde cet aspect au travers de l’analyse des rêves et de leurs symboles. Pour Freud, le rêve est la voie royale vers l’inconscient. Il semble que cette prise de conscience progressive des matériaux inconscient soit l’une des étapes vers le processus d’individuation. Mais si notre inconscient n’établit pas précisément ce dialogue durant la nuit, que pouvons nous y faire ? Méditer sur certains symboles et mandalas en attendant que l’inconscient prenne le relais ? Je ne sais pas si cela serait efficace. Certains utilisent des drogues hallucinogènes afin de sonder leur esprit (comme Aldous Huxley dans les portes de la perception). D’autres vont subir de lourds régimes alimentaires, de privation en tout genre et de torture du corps afin de produire les mêmes effets. D’autres encore vont tenter d’approcher ces états extatiques au travers d’une secte, de la religion et de diverses prières et méditations…
Tout cela me rappelle une histoire qui n’a probablement jamais existée mais qui a le mérite d’être démonstrative. Il était une fois un vieux sage qui s’était enfermé durant un an dans une grotte sans donner signe de vie. Les habitants du village le croyaient mort. Au bout d’un an, il sortit et semblait rayonner de bonheur. Il semblait être doté de dons supranaturels, pouvait guérir les corps et âmes des habitants du village et avait une connaissance innée des mystères de la nature. Ainsi, un groupe de jeunes individus qui souhaitaient comprendre comme le vieux sage avait atteint ce niveau, entrèrent dans la grotte et découvrirent de nombreux symboles inscrits sur les parois de la grotte. Ainsi, ils formèrent un mouvement religieux dans lequel l’aspirant devait passer une année à contempler les parois de la grotte afin d’obtenir le grade de “sciant”. Le vieux sage observait tout cela avec humour et se dit que ses nouveaux adeptes ne se feraient pas grand mal à étudier tout cela. Dans le groupe, un des aspirants semblaient plus intelligent que les autres et ne comprenait pas pourquoi il fallait observer ces parois pour obtenir une plus grande sagesse. Ainsi, le vieil homme le pris un jour à part et lui dit : “Personne ici n’atteindra mon niveau en mimant ce que j’ai fait dans la grotte. Il faut que tu saches une chose, la connaissance de toi même, tu ne la trouveras pas en dehors de toi. Tu dois explorer ton intérieur et tenter de le déchiffrer. Ces symboles, vois-tu, je les ai dessinés. Je ne les ai vu nulle part autre que dans mes méditations. Je n’ai fait que reproduire ce qui était en moi afin de comprendre ce que tout cela voulait bien dire. J’ai ainsi réalisé qu’une partie de moi qui me semblait étranger tentait vainement de communiquer avec moi. A défaut, elle m’envoyait des injonctions hypnotiques. Mais j’ai réussis à comprendre progressivement, à décoder ces symboles et à établir un dialogue avec ce qui me semblait étranger. Quand la confiance s’est installée, j’ai découvert que je m’étais trompé toute ma vie. Je n’avais perçu de moi qu’une infime partie de ce que j’étais. C’est comme si je m’étais considéré toute ma vie comme un ver, et que je m’étais découvert papillon. J’ai cru devenir fou pendant un moment, j’avais l’impression de devenir quelqu’un d’autre alors que je ne faisais que redevenir moi-même. C’est comme si toute ma vie, je l’avais vécu au travers d’un rôle théâtral et que je me découvrais en réalité un acteur doué. La scène de la tragédie laissa place à un monde beaucoup plus vaste et complexe et j’ai pu enfin voir, pour la première fois, la lumière du jour. Voilà toute mon histoire jeune aspirant — rien ne sert de me singer, mais apprend tout simplement à te connaître car ces symboles sont les miens, et même si nous partageons probablement une partie de ces derniers, tu auras certainement besoin de plus d’une vie pour emprunter ce chemin qui n’est pas le tiens.”
Après cette histoire, comment conseiller telle ou telle technique ? Je crois que la meilleure façon c’est de se considérer comme un observateur de notre propre personne. Lorsqu’on a peur, il faut se dire : “quelque chose dans mon corps se manifeste et cela ressemble à de la peur. Mais d’où cela provient-il ?”. Il faut savoir devenir un spectateur de ses propres réactions afin d’en deviner la cause. Une fois que la cause est comprise, ce qui n’est déjà pas très simple car de nombreuses couches de vernis peuvent enduire la causse réelle de cette réaction, on peut alors tenter de trouver une alternative pour combattre cette réaction en réduisant progressivement son impact sur notre être. C’est du domaine même de la psychiatrie. Lorsque, par exemple, un événement fort est attaché à notre passé et nous gêne pour évoluer, alors il faut revivre régulièrement la scène afin de dédramatiser l’évènement, afin de lui retirer de l’énergie. Il faut également découvrir ses limites en tout domaine afin de trouver une façon de les dépasser. C’est long, douloureux, ça ne se fait qu’au travers de l’action, mais ça vaut le coup d’essayer non ?
Mais là encore, ce ne sont que des mots, et ce n’est pas évident de passer aux actes. Quelques fois, on aimerait bien pouvoir prendre une décision qui changera radicalement le cours de notre existence, comme si une révélation pouvait tout changer… Et on se rend compte que le quotidien et les habitudes nous rattrapent et dissout cette expérience, en la diluant jour après jour jusqu’à ce que cette réalité ne devienne plus qu’un songe. Pour vivre vraiment, peut-être faut-il apprendre qu’on est condamné, qu’on va bientôt mourir et cacher à ses proches cette réalité pour la garder pour soi. Une façon de les protéger, mais aussi une façon d’obtenir encore quelques moment de vraie vie, sans que tout le monde se mette à pleurer en nous voyant, ou ne tente de nous surprotéger. Les gens ne peuvent pas réellement comprendre ce qui se passe dans la tête d’un mourant. Il y a tant de choses à faire qu’on n’a pas eu le temps de faire, et tellement plus qu’on ne pourra jamais faire. On pense à tout ce qu’on a fait et qui restera, à ce qu’on va léguer. Suivant le temps qu’il nous reste à vivre on fait des choix. C’est une façon de se constituer des projets quand tous nos rêves volent en éclat. La vie devient absurde sans rêve, alors on s’accroche à ce qu’on a. Pourquoi faut-il apprendre ce genre de chose pour comprendre qu’on n’a jamais réellement fait ce qu’on voulait faire, qu’on a jamais eu le courage en se disant : “plus tard, j’ai le temps”. Pourtant, nous sommes tous condamnés à terme. D’ici 120 ans tout au plus, toutes les personnes vivant actuellement dans ce monde ne seront plus. J’ai déjà enterré tant de personnes et d’êtres chers… Et vous, si vous n’aviez plus qu’un mois, peut-être deux à vivre, que feriez-vous ? C’est une expérience de pensée intéressante. Pourtant, même dans ces cas extrêmes, on reste assez fidèlement attaché à sa vie de tous les jours. Vivre vraiment, avec tout son potentiel, semble n’avoir finalement aucun sens véritable… juste quelques pensées avant de s’endormir, des projets à long terme … Et puis zut, tout cela est trop dur, pourquoi se poser tant de questions ?
Le sens de la vie
Je pense de mon coté que la vie n’a pas plus de sens que celui qu’on lui donne. Je ne crois pas au surnaturel bien que je sois conscient qu’il y a de nombreux phénomènes naturels qu’on ne comprend pas. Je ne crois pas en un Paradis ou un Enfer car je trouve cela absurde. Je ne crois pas en une vie après la mort, tout du moins, pas une vie dans le sens courant… Je crois qu’une partie de nous survie, mais que cela n’est rien de plus que le reflet de nous au travers de l’humanité — mais c’est déjà beaucoup. Je ne pense pas qu’une réincarnation soit nécessaire et dans tous les cas — cela ne m’intéresse même pas. Nous devons dessiner notre vie comme un artiste peint un tableau. Nous devons tailler notre personnalité comme un sculpteur extrait une oeuvre de la Pierre :. Mais tout cela demande tellement de courage car il y a de nombreuses décisions difficiles à prendre, que bien souvent, on renonce avant même d’avoir essayé.
Qui se sent réellement en vie ? Sentons nous dans notre chair cette énergie qui nous parcoure. Personnellement, c’est quand j’ai mal que je me sens vivre. Quand la douleur me parcours, quelle soit physique ou mentale, j’ai l’impression que mon corps s’éveille et entraîne en même temps mon âme. N’y voyez aucune tendance masochiste, car tout cela n’a rien à voir avec le sexe. Freud dirait certainement que c’est parce que j’ai dévié mon énergie sexuelle vers un autre domaine et il aurait probablement raison. C’est plutôt qu’en dehors de cela, mon corps semble mourir de lui-même, petit à petit. Si je devais visualiser les choses au travers de mon imagination, je verrais quelqu’un de tout gris qui de temps en temps s’éveille à la couleur avant de redevenir tout gris. Cette illumination des couleurs n’arrive pas à tenir car tout l’environnement est là pour ternir les couleurs. Je pourrais m’aveugler au travers de divers projets car je suis un passionné. Mais je sais aussi que tout cela n’est qu’un moyen de me détourner de la véritable question : Je n’existe pas véritablement. Il y a une petite flamme en moi qui de temps en temps grandit et à ce moment là j’existe, mais elle repart au néant très rapidement. Manger me permet de lui redonner vie l’espace d’un instant car de nouveau je ressent des choses… Et puis, juste après, il meure à nouveau… C’est peut-être pour cela que j’ai une tendance boulimique, cela doit être une façon de me tenir en vie. Alors, pour évacuer toute cette détresse, je gonfle mon ego en m’achetant des livres, en faisant les magasins, en m’appropriant les pensées d’autrui… Je collectionne et tout cela semble s’accrocher à mon être afin de me grandir. Ainsi, j’ai l’impression que je ne m’enfoncerai pas dans le sol car il y a tant de choses rattachées à mon être que j’ai l’impression d’exister comme une entité englobant tout cela. Mais ce n’est qu’illusion ! Ce n’est pas moi : je ne suis pas mon appartement, je ne suis pas ma voiture, je ne suis pas les habits que je porte, je ne suis pas non plus ce site web qui ressemble à une extension de ma bouche… Je ne suis rien de tout cela et la preuve en est que si je devais mourir dans l’instant — tout cela existerait encore sans moi. Quelques fois j’ai envie de courir sous la pluie, de prendre mon sac et de tout quitter. Mais pour aller où ? Et que vont devenir tous ceux que j’aime. J’ai envie de rester éveillé le plus longtemps possible pour savoir si le monde continue de tourner quand les aiguilles dépasseront les 24 cycles d’heure, et les prochains, et les prochains… J’ai envie de sortir dans la rue et de crier à qui veut l’entendre (et même aux autres) : “Wake Up”. J’ai envie de prendre des tiges en acier et de me enfoncer dans la chair profondément jusqu’à hurler de douleur, jusqu’à pleurer comme un nouveau né qui prend une première gorgée d’air. J’ai envie de me battre contre toute l’injustice du monde et de tomber, pour me relever et de retomber, pour encore me relever jusqu’à ce que mort s’en suive afin de pouvoir crever en me disant “j’ai essayé, j’ai vraiment essayé”. Au lieu de cela, j’écris car c’est plus facile que d’agir. Et puis la raison trouve toujours idiot ce qui sort du coeur. Nous sommes probablement nombreux à de temps en temps penser cela, mais tout cela reste dans notre tête. Cela agit comme une compensation car cette vie que nous vivons ne concorde pas avec notre nature animale. C’est une domestication qui rend furieux l’animal qui vit en nous. Je vous dit tout cela au risque de passer pour un dément, mais réfléchissez bien à tout cela… Ne reniez pas l’être véritable qui vit en vous car c’est cela le début de l’individuation. Tombez les masques et reprenez des couleurs, car vous n’êtes pas votre profession, vous n’existez pas en tant que parent d’un tel ou mari d’une telle. Vous n’existez pas au travers de votre association humanitaire… Vous êtes différent de tout cela bien que cela fasse partie de vous.
Vous êtes plus grand que tout cela, mais c’est si difficile de le percevoir alors que depuis nos premiers souvenirs, nous nous sommes identifiés à nos masques et à nos habits. En réalité vous êtes merveilleux, mais vous ne pouvez vous en rendre compte que lorsqu’un morceau de musique vous arrache une larme, ou que lorsque tout simplement vous vous mettez à fondre en larmes devant telle ou telle situation. A cet instant, vous avez l’intuition qu’un être merveilleux vit en vous… mais c’est vous justement. C’est comme une musique qui doucement vous berce. Elle chuchote dans votre coeur, mais quand vous vous mettez à l’écouter, c’est comme si la vie se développait en vous. Comme un printemps qui reprendrait du terrain sur un hiver glacial. Tout à coup, tout votre être s’éveille et se pare de lumière. Le plus vil de tous les êtres vit avec un coeur de glace. Mais, même s’il se barde de toute la logique du monde afin de le maintenir dans cet état, un rayon de lumière finira toujours par passer et le réchauffer afin de lui rappeler ce qu’il est réellement. Car nous sommes tous capables du meilleur comme du pire, telle est notre nature, à la fois créatrice et destructrice, à la fois, être de coeur et être de raison, une vie totalement paradoxale aux deux extrêmes. Ce petit rayon de soleil, c’est un virus qui peut contaminer tout le monde. Il suffit qu’un de nous s’éveille pour réveiller tous les autres autour. N’ayons pas peur de la lumière que nous portons en nous.
Que devons nous faire à présent ? Allez vous servir une tasse de thé et fermez cet ordinateur… Installez vous dans un endroit calme dans lequel vous vous sentez bien, et regardez dehors. Voyez à quel point même un immeuble peut être beau. Si vous avez la chance de voir des passants, regardez les et voyez à quel point leur chemin quotidien est stupide. Travailler pour manger et pour s’amuser, et s’amuser pour oublier et passer le temps. Maintenant, réfléchissez à tout cela, à tout ce que vous venez de lire. N’en croyez pas un mot ! Tout cela est faux. Cela ne sera vrai que lorsque vous en aurez l’intime conviction, que vous aurez expérimenté cette réalité. Et peut-être d’ailleurs que tout cela n’est vrai que pour moi-même après tout. Ce sont mes symboles dans ma grotte. Pensez à votre vie, à vos rêves d’enfant, à tous les compromis que vous avez fait, aux projets que vous avez repoussés et autres que vous avez abandonnés. Est-ce que le bilan de votre vie vous convient ? N’y a t‑il rien que vous souhaitiez faire avant de mourir et soyez sincère car un manque de sincérité pourrait vous tuer ! Avez-vous tout tenter pour réaliser ces rêves avant des abandonner ? Fermez les yeux et rappelez vous pourquoi tout cela vous faisait vibrer étant plus jeune. Rappelez vous à quel point il vous était facile de vous lever après y avoir pensé en vous réveillant le matin. Et visualisez votre réussite, visualisez vous pendant et après avoir atteint votre rêve. Visualisez le chemin à parcourir et ne lésinez pas sur les détails ! Et quand vous aurez la sensation de l’avoir possédé l’espace d’un instant, ouvrez les yeux et voyez comme tout semble plus lumineux et porteur d’espoir. Finissez votre tasse, et, n’y pensez plus, car désormais, vous venez de changer votre destin. Une petite graine a pris naissance dans le monde des idées, et elle va grandir afin que vous réalisiez votre rêve. Tout cela prendra le temps qu’il faudra, et vous aurez des efforts à réaliser, de temps en temps, mais vous parviendrez à la réussite de votre projet. Et d’une certaine façon, vous commencerez à vous éveiller.
Note: j’aimerais ajouter un paragraphe sur notre responsabilité en tant qu’être humain. Nous tirons en partie notre existence et notre conscience du fait du patrimoine qui nous a été livré par l’humanité. Nous avons à cet égard une dette immense. Sans ce patrimoine, nous ne serions probablement pas plus conscients qu’un chimpanzé. La différence génétique si minime qui existe d’ailleurs entre l’homme et le singe reflète d’ailleurs cette proposition. La seule différence est peut-être dans notre capacité à formuler des phrases, à utiliser le Verbe. C’est du Verbe qu’a pu naître l’humanité. La parole a amélioré notre communication, mais a aussi donné naissance au moi que nous confondons avec nous-même. Quand l’être humain a pensé “JE”, il est certainement tombé dans le piège le plus sombre de la création, s’aliénant ainsi à son propre ego. Cependant, nous sommes en droit de nous demander si ce patrimoine a fait notre malheur ou notre bonheur. Un singe est-il plus heureux que nous ? C’est tout un débat philosophique, mais je crois assez en la maxime “heureux le simple d’esprit”. La conquête de la Vérité rime avec la liberté, mais aussi avec la souffrance, je le crains.
J’aimerais également ajouter quelques mots sur ce que nous sommes réellement. En effet, sommes-nous encore le même qu’il y a vingt ans ? La plupart des constituants de notre corps n’est plus et s’est renouvelée pour une bonne partie. Nous ne pensons plus de la même façon. Notre façon d’appréhender le monde, mais aussi nous-même a changé. Que reste t‑il alors de nous ? Notre mémoire… tous nos actes et nos pensées accumulées… est-ce cela que l’on appelle “Je” ? Et si c’est le cas, que se passerait-il si nous perdions totalement la mémoire ? Est-ce une forme de mort ?
Greg (2005)