Nouvelles Jules Verne par Nicolas Bouchard : La conjuration de la canne à sucre
Auteur : Nicolas Bouchard
Présentation : Je m’appelle Nicolas Bouchard, enseignant en arts plastiques dans un collège lyonnais. Je me suis inscrit aux Artisans de la fiction, et j’entame actuellement ma troisième année de formations en leur sein. J’ai connu le magazine Créateurs de monde par leur entremise et j’en ai profité pour m’abonner et suivre cette publication. Mon objectif est d’être en mesure de maitriser les codes de la création de fiction aussi bien dans mon activité artistique personnelle que professionnelle.
Titre : La conjuration de la canne à sucre
Résumé : 1860, Le médecin de bord du yacht royal Victoria et Albert accompagne l’impératrice d’Autriche vers un voyage à Madère. Il découvre sur place qu’une conjuration d’industriels s’est montée pour manipuler Sissi afin de faire la promotion de l’industrie sucrière dans le monde pharmaceutique et d’accroitre la consommation de produits sucrés dans le monde.
Nombre de mots : 2230 / Signes (hors espaces) : 11836 – validé.
Cela faisait trois jours que le grand yacht royal était arrimé dans la baie de Funchal. Sa haute taille et ses cent dix mètres de long contrastait avec les petites embarcations des pécheurs locaux. Deux puissantes roues à aubes enfermées dans des caissons de bois étaient constamment révisées par les membres d’équipages. Les deux grandes cheminées de cuivre scintillaient dans le ciel d’azur. Les pavillons de la maison de Habsbourg, de l’amirauté britannique et du Portugal (pavillon de courtoisie) étaient hissés sur chacun des trois mats du navire. En poupe l’union-jack flottait au vent.
Medwyn traversa le long couloir dédié aux membres d’équipage pour rejoindre le bureau de son maitre, le docteur Bradshaw. Son allure négligée et ses vieux vêtements de paysan gallois, ne passaient pas inaperçu au milieu de la population portugaise de l’ile de Madère, tout de blanc vêtus et affublés de chapeaux de pailles bien plus commodes pour se protéger du soleil que son vieux haut de forme élimé. Même pour ses concitoyens britanniques il paraissait tout droit sorti d’une gravure du temps du roi Guillaume IV. Ce brave garçon portait avec fierté son costume, transmit de père en fils comme c’était de coutume entre Swansea et Clydach. Il frappa à la porte de la cabine personnelle du praticien.
— Docteur, c’est Medwyn j’ai réceptionné le message de Londres comme vous m’aviez demandé, il est arrivé à bord d’une goélette en provenance de Southampton.
La porte s’ouvrit, laissant apparaitre Trenton Bradshaw. C’était un individu de haute taille, bien bâtît avec des cheveux blond vénitien et un visage glabre encadré par des favoris qui le mettaient en valeur. Ses yeux bleus contrastaient avec ceux de Medwyn, d’un brun profond, mais la même lueur d’intelligence y brillait ce qui faisait des deux hommes malgré, leur statut social, deux fidèles amis.
Mon bon Medwyn, merci pour ta commission, pose le courrier son mon secrétaire et sert toi un verre de Brandy ou d’autre chose.
— Ma fois, ça me fera le plus grand bien, c’est que je commence à me lasser de ces vins toniques que l’on trouve ici.
Il retira son couvre-chef et ouvrit le meuble de bar en acajou. Il hésita sur les bouteilles, en débouchonna quelques-unes pour en humer les contenus. Son nez renifla Brandy, planteur, porto et whisky mais son choix se porta sur un grand verre de vieux Gin, boisson plus vigoureuse que ces apéritifs exotiques.
Il se retournât vers son employeur et après avoir absorbé une gorgée d’alcool, lui demanda :
— Avez-vous pu examiner l’impératrice aujourd’hui ?
— du peu que m’a laissé approcher d’elle Weichselbraun, je dirais que son état est stationnaire.
— Vous êtes arrivez à une conclusion sur sa santé ?
— Elle semble à peine se remettre du voyage depuis Anvers. Sans ses fards, son teint est livide. Son pouls est très bas, et elle est en hypotension permanente.
— Vous confirmez ce diagnostic de tuberculose qui a été effectué à Vienne alors ?
— Non, son cas ne relève pas de cette maladie. Je suis très étonné que mes éminents collègues se soient trompés sur ce point.
— Peut-être préfèrent-t-ils émettre un diagnostic erroné que d’avouer leur ignorance ?
— Je pense qu’ils dissimulent quelque chose ; J’ai voulu l’interroger d’avantage mais Weichselbraun est entré dans la chambre et m’a congédié.
Medwyn observait le docteur s’approcher de sa bibliothèque pour y chercher un manuel médical. Il tourna les pages avec rapidité pour s’arrêter sur une gravure ancienne. Elle représentait un ange assis sur le bord d’une pierre, sa main gauche soutenait sa tête alors que dans la droite il tenait un compas d’architecte.
— Cette gravure s’appelle Melancholia, elle signée du maitre Albrecht Dürer de Nuremberg. Pour moi elle illustre le mieux le mal dont souffre l’impératrice. C’est une profonde tristesse qui la pousse fuir ses responsabilités et se réfugier dans un monde imaginaire qu’elle maitrise beaucoup mieux.
Medwyn se grattait la tête en regardant le contenu de son verre. Cela lui rappelait le cas de son vieil oncle Lleu, alcoolique au dernier degré que le gin avait fini de rendre complétement fou.
— Depuis notre départ de Belgique, je lui ai prescrit des menus très copieux pour lui redonner des forces mais je doute qu’elle y touche, et pourtant les cuisiniers sont formels elle semble les avoir consommés. J’aimerai en savoir un peu plus, pourrais-tu me renseigner à ce sujet ?
— Bien-sûr docteur, je vais aller demander aux mousses de nettoyer les fenêtres de sa cabine durant l’heure du souper. Je sais qu’elle a un préféré parmi eux, le petit Elliot, à qui elle a déjà donné une pièce d’argent. Elle ne lui en voudrait pas d’un peu d’indiscrétion.
Medwyn, termina son verre, le posa dans l’évier et quitta la pièce pour rejoindre ces compatriotes marins dans leur poste d’équipage, il dû pour cela emprunter quelques minutes les couloirs prestigieux des invités ; deux courtisanes autrichiennes qu’il dépassât sans même les remarquer, s’émurent de son accoutrement.
Trenton se rendit à la convocation du colonel Julian Weichselbraun, à l’heure du thé en Angleterre, à celle du café chez les Autrichiens. Le colonel l’attendait dans son bureau et lui proposa un fauteuil. Sur une petite table était servi une tasse du café ainsi qu’une autre de thé noir, sur de petites assiettes étaient disposés tout un assortiment de pâtisseries portugaises, des queijadas, des pastels de Belém et la spécialité locale des bolo de mel, littéralement gâteaux à la mélasse. Julian quitta son bureau pour prendre place à ses côtés. Ce dispositif de mise en confiance démontrât au docteur Trenton qu’il avait mis le doigt sur quelque chose d’important. D’ordinaire le militaire de l’Evidenzbureau faisait preuve de moins de raffinement pour obtenir ces informations. Il tendit une tasse à Trenton et lui proposa le plat de pâtisserie.
— Cher docteur, je vous conseille particulièrement la friandise locale, le Bolo de mel, c’est très sucré mais sa saveur rappelle celle des pains d’épice comme on les trouvent sur nos marchés de Noëls.
— Merci colonel, mais je ne suis pas un grand amateur de sucre, toutefois je ferai une entorse à mon régime, pour une fois…
Le colonel tiqua à cette remarque, il observa un instant le docteur, et bu un peu de café.
— J’imagine que par « régime » vous faites allusion à la santé de sa majesté. N’est-ce pas ?
— Et bien j’ai quelques ressources colonel qui me permettent d’obtenir les informations qu’on cherche à me dissimuler. Trenton découpa à la fourchette un morceau de gâteau. Il observa la texture et en mangea une bouchée ; la forte dose de sucre lui agaça les dents.
— Vos ressources je les connais, l’ensemble de l’équipage et ses petits garnements qui regardent ce qu’ils ne devraient pas. Je savais que derrière cette invitation de croisière, la reine Victoria souhaitait s’enquérir de la santé de l’impératrice.
S’essuyant la bouche avec une serviette, Trenton répondit :
— Colonel il s’avère que j’ai effectivement été diligenté pour établir un diagnostic juste de la maladie de l’impératrice Elisabeth ; sa majesté est effectivement soucieuse pour cette jeune personne et elle m’a demandé de l’aider du mieux que je pouvais.
— Alors Trenton qu’avez-vous établie comme conclusions ?
— Votre impératrice souffrirait d « Anorexia nervosa ». C’est une pathologie que mon éminent confrère le docteur Gull de la royal society a mis en lumière récemment. Je lui ai envoyé un courrier il y a de cela quelques jours et les d’après les symptômes que je lui ai décrits il en est arrivé à cette conclusion.
— Excusez-moi de ne rien comprendre, en quoi consiste cette maladie ?
— C’est un mal psychique colonel, une forme de mélancholie qui pousse les sujets, le plus souvent des jeunes femmes à restreindre leur poids de corps par des régime drastiques. Elles sont obsédées par une quête narcissique de leur beauté qui les poussent à l’anémie puis à la mort.
— Vous présumez que l’impératrice Elisabeth serai démente ?
— Elle souffre comme chacun d’entre nous colonel et peut-être un peu plus compte-tenu de ses fonctions.
Pendant que le docteur émettait sa réponse, le militaire déposa un dossier sur la table juste à côté des pâtisseries.
— Docteur, j’aimerais que vous consultiez ses documents. Pourriez-vous me donner votre avis ?
Trenton s’essuya précautionneusement les doigts avant de s’emparer du porte-vue. Plusieurs notes y figuraient ainsi qu’une série de croquis exécutés rapidement mais avec talent. Deux hommes y étaient représentés, l’un grand et distingué, l’autre trapu, chauve et moustachu dont les balafres au visage ne laissèrent guère de doute sur sa nationalité.
— Celui-ci est un adepte de la mensur, un prussien donc. Dit Trenton en désignant le document au colonel.
— On ne peut rien vous cacher docteur. Ernst Gerstraedker industriel de Postdam, l’autre est l’un des plus gros propriétaires terriens de Madère, Fernao De Morena.
— Ces croquis ont été exécutés durant la cérémonie d’accueil de l’impératrice à Funchal je reconnais la scène mais il y avait une telle foule que je ne souviens pas avoir croisé ses deux hommes.
— C’est qu’ils ont attendus leur moment pour approcher l’impératrice.
Trenton continua sa lecture du dossier ; de nouvelles illustrations figuraient un vaste bâtiment entouré de plantation de cannes à sucres. D’autres représentaient l’intérieur de la bâtisse. Aux vues des nombreuses cuves, il en déduisit que c’était une manufacture de sucre de canne.
— Eclairez-moi colonel, je ne vois pas dans quel forfaiture ces deux individus sont impliqués.
— Fernao De Morena riche producteur de l’île s’est associé avec Gertraedker, industriel de betterave sucrière, pour lancer un projet commercial s’appuyant sur l’image publique de notre impératrice. Ils souhaitent développer une gamme de produits sucrés à vocations médicinale. Vous connaissez sans doutent les théories du docteur Hahnemann ?
— vous faites référence à l’homéopathie ? Oui je connais les travaux de ce saxon. C’est le vieux principe de la mithridatisation.
— Oui mais dans le cas présent c’est évidemment du charlatanisme. De Morena importe du Brésil des feuilles de coca qu’il exploite dans une solution à base de mélasse et d’eau. Mes informateurs ont relevé une étrange mixture qui coule depuis quelques semaines dans les canaux d’irrigation du versant nord de l’île, les levadas comme on les appelle ici ; cela aux environs de cette manufacture représentée dans les croquis ci-joints.
— Colonel je propose que nous montions une expédition pour tirer les choses aux claires. Retrouvons-nous sur le chemin bordant ces « Levadas ».
L’entretient des deux hommes s’achevas sur la confirmation d’une mission commune. Dès le lendemain, le docteur accompagné de Medwyn, du colonel, de deux policiers autrichiens et de cinq marins partit pour la région intérieure de l’ile où se trouvait la mystérieuse fabrique du comte Fernao De Morena. Ils empruntèrent ces fameuses pistes qui bordes les canaux de pierre sur plusieurs kilomètres, longeant les hectares de cannes à sucres, plantés à flanc de montagne. Plus ils avançaient et plus les eaux des Levadas adjacentes à la route se teintaient d’une couleur sombre correspondant aux informations transmises par les espions du colonel. L’un des marins du groupe, connu pour son penchant pour les boissons alcoolisées, remplit sa gourde de cette substance, imaginant qu’une fermentation naturelle avait mué l’eau en whisky tourbé. Après une gorgée, il la recracha immédiatement. Au vu de ces grimaces, il semblait avoir ingéré de l’huile de ricin.
Arrivés aux portes de la manufacture, ils s’arrêtèrent devant des piles de caisses en bois remplis de petites bouteilles en verres vides et observèrent les entourages. Les lieux semblaient déserts, Medwyn partit en éclaireur avec un des Autrichiens, revint vers eux après quelques minutes. Il avait subtilisé dans un des bureaux mitoyens à l’usine, toute une série de documents techniques qui compilaient les machinations du prussien et du noble portugais. Les deux hommes projetaient, en associations avec des pharmaciens parisiens et américains de mettre sur le marché un vin tonique à base de feuille de coca. En y ajoutant des opiacés dans la recette, Ils comptaient rendre la jeune impératrice dépendante à cet adjuvant pour en faire l’égérie de leur marque. Des portraits de la souveraine étaient représentés en médaillons sur de nombreuses étiquettes rouges. Afin d’empêcher cette conjuration diabolique, ils procédèrent à un sabotage en bonne et due forme de l’installation industrielle. En fermant simultanément les vannes des cuves se trouvant dans l’usine, en faisant monter la pression, ils créèrent une formidable explosion qui s’entendit jusque dans la capitale de Madère.
Un mandat d’arrêt fut émis par les autorités portugaises contre les deux industriels sous le motif d’atteinte à l’intégrité physique et morale de l’impératrice Elisabeth d’Autriche. Ils s’étaient volatilisés, probablement aidés dans leur entreprise par des puissances étrangères. Le docteur Bradshaw fut anobli par la reine Victoria pour cette mission, et continua sa prestigieuse carrière au sein du Royal college of medecine. Quelques années plus tard il fut surpris par l’apparition sur les étals d’un vin tonique élaboré par un pharmacien français du nom de Mariani. Les similitudes avec le cas de Madère le poussèrent à effectuer quelques investigations qui ne menèrent à rien. Il apprit bien plus tard la triste nouvelle de l’assassinat de l’impératrice par un anarchiste italien aux bord du lac Léman. Ce qu’il ignorait c’est que lors de l’arrestation de Luigi Lucheni, le jeune italien qui avait commis l’acte irréparable contre Elisabeth, on rechercha également deux complices dans l’organisation de l’attentat, un petit prussien chauve et un grand portugais. Il ne fut pas plus capable de relier cet évènement à un autre qui se déroula un an plus tard ; la mise sur le marché nord-américain d’une petite bouteille de soda très sucré reprenant la recette du vin Mariani mais remplaçant la mélasse par des extraits de noix de kola.