Nouvelles Jules Verne par Rémi Senart : Une transmission sans fil

Auteur : Rémi Senart

Présentation : Je suis Rémi, ingénieur mécanique, et ce concours a été pour moi le prétexte pour redécouvrir — ou découvrir serait plus exact — l’univers de Jules Verne découvert quand j’étais plus jeune. J’ai pris plaisir à lire le dossier et plusieurs de ses œuvres et à faire à partir de cela une synthèse de ce qu’était pour moi son univers.   En tant que nouveau résident dans le Cotentin, j’ai eu plaisir à découvrir tout l’été la côte atlantique et ses sémaphores. Ils ont été l’élément déclencheur du sujet que j’aborde dans ma nouvelle. J’ai choisi de concourir dans la catégorie : « écrire comme si vous étiez à l’époque de Jules Verne, en s’inspirant de technologies existant aujourd’hui »

Titre : Une transmission sans fil

Résumé : Cunningham, homme de défis, engage sa fortune et le Metropolitan-Club dans son projet de réalisation d’une transmission télégraphique sans fil transatlantique. Il défie le pessimisme d’Hodgson. Il connaît un premier échec lors d’une démonstration publique, affronte un terrible orage avant son départ en Amérique. Sa réussite finale ouvre la voie à de nouvelles ambitions.

Nombre de mots : 1982 – validé.


Sir Cunningham prie chaleureusement l’honorable colonel Owen de se rendre demain à midi au salon de réception du Metropolitan-Club. » Telle fut la lettre que Nelson Owen reçut ce 11 octobre 1864.
Le voici donc, bien avant midi le lendemain, à l’endroit indiqué. Il retrouva Franklin Howards, Edwin Chapman, respectivement trésorier et secrétaire du club, ainsi qu’une foule de donateurs réguliers du cercle qui avaient donc reçu individuellement cette lettre manuscrite.

Darryl Cunningham arriva avec dix minutes d’avance sur l’horaire. Cet homme de grande taille et large d’épaules salua de la main ses compagnons et prit place sur l’estrade. L’horloge sonna douze coups et le silence se fit dans l’assemblée. Cunningham prit la parole :
« Chers amis, quand notre club s’est réuni pour la première fois, il y a cinq ans, il avait pour mission de développer un moyen de transport pour permettre aux Londoniens de se rendre sur leur lieu de travail de manière rapide et fiable. La Metropolitan-Line, la première ligne de transport souterraine au monde, fruit de notre collaboration, voit depuis son entrée en service des milliers de voyageurs l’utiliser quotidiennement. »
La foule applaudit. Darryl Cunningham leva le bras droit pour reprendre son discours.
« Mes amis, je ne vous ai pas conviés pour nous satisfaire de ce succès, mais pour préparer le prochain ! » continua le président en élevant la voix. Les applaudissements reprirent.
« Vous connaissez les progrès réalisés dans le domaine de la transmission depuis 30 ans. Nos sémaphores sont devenus obsolètes. De nos jours, on envoie des signaux électromagnétiques à travers des câbles. La télégraphie électrique a balayé la télégraphie optique. » Cunningham marqua un silence.
« Mes amis, j’ai beaucoup étudié les récentes théories de Maxwell sur les ondes radio. Les ondes radio transitent sans câbles, sans fils. Alors, voici l’expérience que je vous propose : l’émission d’un message en code Morse depuis Paddington qui sera reçu et traduit à Farringdon, à l’autre bout de la Metropolitan-Line. Mes amis, si vous le voulez, construisons le futur de la télégraphie. Voici venu le temps de la télégraphie sans fil ! »
Howards et Chapman se regardèrent, silencieux, bouche grande ouverte. Des acclamations descendirent de la foule : « Hurrah à la radio, Hurrah aux ondes, Hurrah à Cunningham ! »

De cette foule, un homme coiffé d’un chapeau melon, s’aidant d’une canne, s’extirpa et rejoignit l’estrade. Cunningham reconnut Samuel Henry Wheatstone, le membre fondateur et principal donateur du club. La foule se tut pour l’écouter.
« Sir Cunningham, si ces ondes radio transitent sans support, peuvent-elles traverser les frontières et les océans ?
— Sans aucun doute.
— Et résisteront-elles aux pluies, orages ou autres vents violents ?
— Oui, »    affirma    Cunningham,    « elles    sont    insensibles    aux    conditions    climatiques, contrairement aux câbles télégraphiques actuels.
— Pourraient-elles alors nous permettre de communiquer avec notre flotte marine ou avec nos gouverneurs sur nos terres coloniales d’Afrique, d’Amérique ou aux Indes ?
— Bien sûr ». Cunningham ne put deviner l’idée de Wheatstone.
— « Alors, Sir Cunningham, notre message doit parcourir le monde. Pourquoi ne pas tenter l’expérience de transmettre un message radio transatlantique ? »
Un « oh » de surprise s’échappa de la centaine de témoins.
— « Esquire, puisque c’est votre volonté, elle devient celle de notre club. Nous nous réunirons dans cinq jours à la même heure pour traiter tous les détails de notre affaire.

Le projet fut ainsi lancé. Les hommes de l’assemblée sifflèrent, applaudirent, lancèrent des “hip, hip, hip !”, jetèrent leurs chapeaux en l’air.
Un comité exécutif pilota les questions techniques. Il se composa de : Cunningham lui — même, Wheatstone, le colonel Owen qui apporterait son expertise en matière de communication marine, et enfin Chapman qui occuperait les fonctions de rapporteur.
Le premier débat porta sur la date à laquelle serait réalisée cette expérience. Le jour du 16 février 1865 fut choisi, symbolisant les 50 ans de la ratification du traité de Gand qui mit fin à la guerre anglo-américaine concernant l’annexion des colonies. C’est Cunningham qui avait personnellement validé cette date malgré les alertes du comité. Il restait donc moins de quatre mois pour mettre au point les machines.
Le comité proposa également que le Naval Observatory de Washington, sur la côte est de l’Amérique soit le lieu émetteur du message et que l’observatoire de Greenwich en assure la réception. Une lettre rédigée par Cunningham devait partir le lendemain par steamer à destination de Washington pour faire part à l’observatoire de cette proposition.
Enfin, il fut décidé que le matériel fut construit en émission-réception pour permettre au message de transiter dans le sens Washington-Londres, puis à l’accusé-réception de faire le chemin inverse. Chapman, qui annonça ces décisions à une assemblée qu’il croyait entièrement acquise à la cause du Metropolitan-Club, dut plusieurs fois demander le silence. Un individu attaqua le projet du club. Cunningham, témoin de la scène, offrit à l’adversaire mystérieux la tribune. Celui-ci s’avança sous les sifflets. Cunningham demanda le silence et l’interrogea.
— “Qui êtes-vous donc, gentleman ?
— Sir Charles Hodgson. J’affirme devant vous que ce projet est irréaliste.
L’évocation de ce nom n’était pas inconnue pour Cunningham. En effet, la solution de transport aérien par câbles qu’avait proposée ce membre de la Royal Society de Londres avait été rejetée au profit de celle souterraine développée par Cunningham et le Metropolitan-Club. Cunningham resta cependant impassible.
— ‘Argumentez donc.
— Je commencerais d’abord par apprendre à l’assemblée que les ondes de Maxwell ne sont pour l’instant que théoriques. Elles sont immatérielles, impalpables. Elles auront nécessairement besoin d’un support matériel pour voyager.’
Hodgson brandit l’article du scientifique pour donner plus de valeur à son premier point.
‘Ensuite, si vous réussissez malgré tout à les créer, si des câbles ne sont pas là pour guider ces ondes, votre message pourra bien aller où bon lui semble.’
L’assemblée le huait pendant que Chapman continuait à retranscrire l’attaque en cours.
— Eh bien, Sir Hodgson, j’engage le pari contre vous que nous réussirons.” Cunningham marqua une pause. “Et dans le temps imparti.
— Un pari, vous n’y songez pas, il est perdu d’avance, répondit son interlocuteur en haussant les épaules.
— Alors, saisissez cette aubaine.” conclut le président.

Les termes du pari furent ainsi fixées :
1°) techniquement, le comité n’arrivera pas à fabriquer deux appareils capables d’émettre et de réceptionner des ondes radio → 5000 livres
2°) la distance qui sépare l’émetteur et le récepteur rendra l’expérience irréalisable. → 10 000 livres

Une souscription lancée par le trésorier Howards réunit en trois jours la somme extraordinaire de 25 000 livres. En ajoutant les 15 000 livres apportés par Cunningham — on estima cette somme à la moitié de la fortune de l’anglais —, on arriva au total de 40 000 livres.
Les réunions suivantes se concentrèrent sur les réalisations techniques. Plusieurs configurations géométriques furent données à l’antenne pour réceptionner le signal radioélectrique. On opta d’abord pour une longue tige métallique. Ensuite pour une sorte de plaque à surface carrée.
L’hypothèse ici faite fut que l’augmentation de la surface de l’antenne ne put qu’augmenter les probabilités de réception du signal. Cunningham et ses acolytes faisaient des centaines d’allées et venues à travers les bureaux du Metropolitan-Club pour tester leurs conceptions. La géométrie finale qui rencontra les résultats les plus satisfaisants étaient une forme s’apparentant à une coupole renversée.
Le 20 novembre, après environ un mois d’essais, Wheatstone passa commande aux argentiers du marché aux puces de Portobello Road pour 3000 livres de miroirs. Il était question ici d’étudier si les théories optiques sur la réflexion et la diffraction des ondes lumineuses pouvaient apporter leur concours aux ondes radio.
Une bonne nouvelle arriva par le courrier de Washington. Le Naval Observatory se déclarait honoré d’être associé à ce projet et attendait avec impatience la date historique du 16 février.

Au soir du 5 décembre, une annonce de Chapman électrisa l’assemblée. Une transmission radio avait effectivement été réalisée avec succès à travers les bureaux du Metropolitan-Club. Cunningham invitait ses partisans à venir en masse le lendemain à midi à Paddington afin d’être témoin de cette réussite.
Une foule compacte répondit à l’appel de Cunningham. Dans les premiers rangs, Charles Hodgson attendit la démonstration. Chapman annonça qu’Owen et Wheatstone s’étaient rendus à Farringdon ce matin, afin d’envoyer un message que Paddington réceptionnerait. L’expérience originale imaginée par Cunningham fut donc sur le point d’être réussie. À midi, le silence se fit. Toutes les paires d’yeux scrutèrent l’antenne et le levier en cuivre chargé de retranscrire en code Morse les impulsions radio envoyées depuis l’autre bout de la Metropolitan-Line.
L’horloge tourna. Le levier n’oscilla pas. La foule grogna timidement. Chapman s’agita devant la machine pendant que Cunningham effectuait certains réglages. Il se releva en regardant Chapman et agita l’index : “J’ai compris, j’ai compris !”. Il demanda finalement à Chapman d’annoncer que l’expérience était terminée pour aujourd’hui. Un seul homme dans l’assemblée ne put masquer un large sourire, c’était Charles Hodgson, qui jubila en repartant.
Dès le lendemain, Cunningham et le comité se remirent au travail. L’amplification du signal avait été identifiée par Cunningham comme le principal défi à résoudre pour retenter l’expérience.
“Il faut augmenter la portée radio !” répéta-t-il plusieurs fois à Chapman en rentrant au club la veille. La construction d’un tel appareil amplificateur du signal devint donc la priorité.

Les semaines passèrent, et après une courte trêve pour les fêtes de Noël, les membres du comité se remirent au travail à huis clos. Certains curieux purent uniquement voir Cunningham, Wheatstone, Chapman ou Owen sortir de temps à autres toujours plus loin dans les jardins du club pour tester leurs machines.
Le 20 janvier, Cunningham réunit le Metropolitan-Club pour annoncer que la construction était encore en cours.
Hodgson questionna :
— “Quand comptez-vous retenter votre expérience ?
— Le temps nous manquera, admit Cunningham.
— Alors vous embarquerez sans avoir réalisé une seule preuve de réussite ? Je veux être le premier témoin de cet échec !” nargua l’adversaire. “Et qui comptez-vous emmener à Washington ?
— Eh bien Monsieur Hodgson, réfléchit Cunningham, je partirai moi-même, et en gentleman, si ce message traverse l’Atlantique, vous aurez l’honneur de m’en accusé-réception depuis votre poste de Greenwich.
Chapman acta l’accord dans le compte-rendu du jour.

Le départ pour l’Amérique était prévu le 1er février. Trois jours avant, un terrible orage s’abattit sur Londres. Wheatstone, en ultime mécène du projet, fit don de cinq nouveaux milliers de livres pour reconstruire les deux antennes détruites lors de cet événement.
Malgré l’acharnement du club, l’une des deux antennes qui devaient partir n’était pas finie, et il fallut attendre le 4 février avant le prochain départ. Une gigantesque procession accompagna l’imposante construction jusque Portsmouth, avant d’être installée sur le steamer Archimède. Cunningham promit une récompense de 3000 livres au capitaine Collins s’il arrivait avant le 16 février en Amérique. La foule laissa l’Archimède s’éloigner des côtes anglaises. Cunningham agita son chapeau pour la saluer.
Le comité retourna travailler pour réparer les derniers dégâts que l’orage du 29 janvier avait provoqués.
Le steamer Archimède était pourvu de trois mâts qui offraient une importante surface de voile disponible pour seconder efficacement la propulsion à vapeur. Cette aide permit au capitaine Collins d’honorer son engagement et d’arriver au soir du 14 février en approche des côtes américaines. Le convoi fut déchargé et une navette emmena le dispositif radio et son illustre passager au Naval Observatory.

Le 16 au matin, une vague humaine déferla sur Greenwich. La foule espérait des nouvelles de Cunningham. Deux minutes avant l’horaire fixé, la foule se tut. Tous les regards se braquèrent dans la même direction. À onze heures, les daguerréotypes se tinrent prêts à capter les premiers mouvements du dispositif radio. Howards se rongeait les ongles. Chapman sortit un mouchoir de la poche de sa veste et s’essuya le front.
Le levier du mécanisme se mit enfin à trembler sous les hurrahs. Hodgson réceptionna le message de Cunningham et dut admettre la réussite de l’expérience. Il traduisit ainsi le message : ‘Je vous lance le pari que je réussirai un jour à faire transiter la voix humaine directement par ces canaux. Vous m’affrontez de nouveau ?’.
Il ne lui répondit pas et fuit la liesse le regard noir.
La foule scanda des ‘Hurrah à Cunningham !, Hurrah au comité ! Hurrahs aux Américains !’. Cunningham relata toute la nuit l’enthousiasme qui s’était également emparé de Washington.


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