Nouvelles Jules Verne par Valérie Garrel : Merci Hector !

Auteur : Valérie Garrel

Présentation : Mon premier roman, « Rien que le bruit assourdissant du silence » est paru aux Éditions de la pleine lune en novembre 2019. Depuis, je poursuis la rédaction d’un second roman. Aimant m’appuyer sur des informations historiques, je ne crée pas de mondes à proprement parler mais je les « re-crée » pour offrir un cadre et des lieux à mes personnages. Jules Verne est fascinant dans sa façon de mêler techniques et voyages avec un soupçon de fantastique. Il est impossible d’écrire « comme lui » mais je me suis amusée à tenter de reproduire son schéma narratif.

Titre : Merci Hector !

Résumé : Les jaloux reprochent au Professeur Lessek et à son jeune assistant de recherche de « faire de la merde ». Eux, ils s’en félicitent ! Mais un jour, un tube de bactéries vient à manquer. Et ce n’est pas une bonne nouvelle !

Nombre de mots : 1905 – validé.


« Bienvenue en ce jour de mai pour cette présentation rapide des projets choisis pour ce Prix de la recherche. Chaque directeur de recherche va nous dire quelques mots puis la journée sera réservée aux présentations détaillées des dossiers. La remise du prix aura lieu en novembre lors d’une cérémonie ici-même. »

« Accueillons donc le Pr Joseph Lessek du laboratoire de microbiologie. »

Un homme rondouillard au sourire bancal fut accueilli par des bravos. Malgré sa soixantaine avancée, il avait dans les yeux le pétillement de la jeunesse.

« Mesdames, messieurs les jurés,
Honorables invités,

C’est avec un grand plaisir que nous vous présentons aujourd’hui le résultat de 25 années de recherches.
Les récents progrès en analyses bactériologiques nous ont permis de valider les hypothèses que nous avions formulé il y a si longtemps.
Je ne tournerai pas autour du pot : nous sommes actuellement en mesure de prédire et de prévenir la maladie d’Alzheimer par l’analyse du microbiote ! »

Des applaudissements nourris se mêlèrent aux murmures admiratifs.

« Comme les autres résultats de recherches, nous détaillerons nos données aujourd’hui dans le local B-612. Nous souhaitons bonne chance à toutes les équipes.
Dans notre démarche de science ouverte, nous enverrons demain cinq échantillons de cocktails bactériens trouvés chez tous les malades atteints qui pourront servir à d’autres laboratoires pour poursuivre ces recherches si importantes.
Je souhaite remercier l’ensemble de mon équipe et surtout Monsieur Stéphane Moult, doctorant en ce moment chez nous, pour son apport décisif. Cette recherche n’aurait pu aboutir sans les générations de laborantins qui sont passés dans notre département et c’est avec une immense reconnaissance que je pense à eux aujourd’hui.
Nous savons maintenant que nous allons pouvoir soulager les malades et leurs familles et c’est notre plus belle récompense.
Merci à tous et bonne journée. »

Le maître de cérémonie accueillit le professeur suivant, un dénommé Potard qui travaillait en chirurgie cardiaque et le professeur Lessek rejoignit son assistant.
— Nous y sommes Stéphane ! Ce va être une magnifique journée.
L’étudiant fut interrompu par un grand homme agité, aux cheveux gris, qui écartait les étudiants attroupés pour interpeller le professeur.
— Mon cher Lessek !! Quelle joie que vous soyez enfin prêt ! Dans notre équipe il nous a manqué quelques semaines pour arriver à des résultats extraordinaires mais notre dossier n’en sera que plus fort l’année prochaine et nous pourrons enfin présenter au monde l’avancée scientifique du siècle. En attendant, bonne chance. Il paraît que les autres projets sont excellents !
— Je n’en doute pas Bernard. C’est une chance d’avoir de si grands chercheurs…

Le Pr Seal n’écoutait déjà plus ; il avait tourné les talons, laissant Le Pr Lessek à ses jeunes admirateurs.

La présentation au jury eut lieu, en termes techniques avec de nombreuses preuves, mesures et justifications pour démontrer le potentiel prometteur de cette découverte.

Le microbiote, composé de milliards de bactéries de souches différentes, était étudié depuis de nombreuses années. Lessek avait supposé que des dérèglements dans l’équilibre de ces bactéries provoquait des maladies neuro-dégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Jusque-là, parler de l’intestin signifiait parler de nutrition et, dans le monde médical, cela ne faisait pas très sérieux. L’analyse du microbiote avait donc beaucoup de mal à se faire financer mais dès qu’on avait identifié une corrélation entre la présence de certaines souches de bactéries et le déclenchement de maladies graves, les portes commencèrent à s’entrouvrir malgré un fonds de scepticisme.
Les jaloux reprochaient à Lessek de « faire de la merde ». Il s’en moquait et poursuivait son objectif : imaginer un cocktail de bactéries bénéfiques pour renverser, le plus tôt possible, les conséquences de la maladie chez des millions de personnes.

Lessek rejoignit Stéphane au labo.
— Le professeur Seal m’a invité à dîner.
Lessek prit la voix nasillarde et le ton emprunté de Seal.
« Vous comprenez mon cher confrère, il est temps de nous réconcilier. Je pars demain pour une EXTRAordiNAIRE mission en Amérique du Sud. Je vous raconterai ce soir. »
— Vous y allez ?
— Bien sûr ! Un souper ne se refuse pas et, je l’avoue, je suis curieux. Que va-t-il faire là-bas ? Si un échange avait été conclu avec une université, j’en aurais été informé…
Stéphane fit un clin d’œil facétieux.
— Une mission secrète ?
Lessek éclata de rire et renchérit :
— Je vais enquêter Watson !
— Bonnes investigations alors. Je vous soumettrai quelques documents demain. Bonne soirée professeur !
— Il est tard ; je vais rentrer lire un peu avant cette folle soirée.

Stéphane se remettait au travail quand un message d’Elsa, sa petite amie, le fit sursauter.
« Toujours au labo ? »
« Oui. Pas fini. »
« Je t’attends pour dîner ? »
« Passe me prendre. L est déjà parti. C’est l’occasion de te faire visiter le labo. »

— Ici, tout est sécurisé… Ne touche à rien, hein ? Qu’est-ce que je disais ? Ah oui ! Le vol des secrets de recherche n’est pas rare et quand ça arrive c’est la fin d’une équipe et souvent, d’un labo complet. Ça c’est notre microscope à balayage pour répertorier les bactéries. Il grossit plus de 16 000 fois ; dingue ! C’est un monde en miniature. Je vois un mini zoo de bactéries à chaque fois que j’observe un échantillon. Fas-ci-nant !
— En effet…
— Dans le congélateur on stocke nos souches. Tu vois cette mallette ? Regarde, ce sont les 5 fioles que nous allons envoyer à…. Oh non !! C’est pas possible !
Stéphane s’étouffait de détresse.
— Respire… qu’est-ce qu’il se passe ?
— Il en manque une !
— On l’a volée ?
— C’est évident ; je les ai préparées moi-même…
— On fait quoi ?
— Tu rentres ; il vaut mieux que tu ne sois pas ici. Je vais dormir ici et attendre le professeur demain matin pour appeler la police. Tu n’as touché à rien, hein ?
— Non. Tu es sûr que tu veux rester là ?
— Oui, file. Je t’appellerai.
— …
— File !
— Ok, ok. Essaie quand même de dormir…

Au matin, Lessek trouva Stéphane, endormi par terre devant les congélateurs.
— Mais que faites-vous là Stéphane ? Vous êtes malade ?
— Professeur, je…
— Vous êtes tout pâle mon pauvre. Un café ?
— Non, attendez. Il s’est passé quelque chose. Il manque un des cinq lots que j’avais préparé pour envoyer aux labos…
— « Il manque » ?
— Envolé, volé !
— Ah ! C’est la meilleure ça !
— Je ne sais pas pourquoi mais j’ai voulu vérifier, j’ai ouvert la mallette et il manquait une fiole. Je n’ai pas bougé depuis. Je vous attendais pour appeler la police.
— Je m’en charge… rentrez vous reposer.
Pendant que Stéphane rangeait son bureau avant de partir, il entendit Lessek au téléphone : « Oui, des bactéries ! » « Évidemment que c’est important sinon je ne vous appellerais pas à 7 h du matin ! » « Non, ce n’est pas radioactif Monsieur, ce sont des bac-té-ries ! » « Lessek oui ! Non pas Le Sec, Lessek, avec un K »

La police ne trouva aucune empreinte étrangère et le juge ne trouva pas nécessaire d’aller perquisitionner chez chacun pour rechercher des « bestioles intestinales ». Stéphane dut préparer un nouveau lot et, sans savoir pourquoi, il resta sur ses gardes alors que Lessek retrouva vite sa bonne humeur et reprit ses travaux.

L’information arriva en septembre : ils étaient lauréats et devaient préparer leur conférence de vulgarisation qui serait même télévisée. Lessek étala ses papiers, courbes et images sur son bureau, celui de Stéphane et le bureau déserté du professeur Seal.

— Il est vraiment parti en Amérique du Sud ?
— On dirait…
— Pour faire quoi ?
— Je vous avouerais mon cher que je n’ai pas compris. Il parlait bizarrement et tournait autour du pot. Je n’ai même pas réussi à savoir où il partait. Je crois qu’il a parlé de Carthagène ce qui pourrait être en Colombie ou au Chili… mais à vrai dire, je m’en fous ! Au moins on peut travailler tranquille sans ce jaloux dans les pattes. Oh, je ne suis pas gentil aujourd’hui… N’en parlons plus.
— Voulez-vous des images des principales souches pour votre présentation ? On en a de très belles.
— Oui, bonne idée.

Stéphane se mit au travail pendant que le professeur continuait à déplacer ses documents dans tous les sens. Peu après, Lessek lui demanda :
— Pourriez-vous me préparer des images…
— De quoi ?
— Des bactéries.
Stéphane dérouté, répondit néanmoins :
— J’y travaille…
— Très bien.
Quelques minutes plus tard, le professeur qui marmonnait dans sa barbe en jouant au bonneteau avec ses feuilles reprit :
— Il est où ?
— Qui ?
— Le type qui travaillait là ?
— Le type ? Vous voulez parler du professeur Seal ? Vous ne l’aimez vraiment pas hein ?
—Seal… Oui, peut-être. Quel est son prénom déjà ?
— … Ça va professeur ? Vous semblez fatigué. Pourquoi ne pas rentrer faire une pause ?
— Je dois finir ce truc. Il y a trop d’informations.
— Je vais partir car Elsa m’attend mais vous aurez les images demain. Essayez de vous reposer.
— Oui, merci. Mes salutations à madame votre mère !
Stéphane se remémora ces discussions pendant son trajet retour. « Madame votre mère » ? Quelle était cette nouvelle lubie ? Et sa blague sur Seal était déroutante. Avait-il vraiment oublié son nom ?

Elsa l’attendait, très agitée.
— J’ai vu le vétérinaire pour Hector. Il a une infection et un antibiotique pour deux semaines !
— On lui donnera alors, répondit Stéphane distraitement.
— Tu m’écoutes ? Il a une infection je te dis…
— Oui, j’ai compris.
— Bon, tu n’as pas l’air très concerné.
— Pardon, je suis préoccupé par le professeur…
— Qu’est-ce qu’il a fait ton dieu vivant ?
— Il n’était pas lui-même ce soir et ça m’inquiète. Il doit être épuisé ou stressé, je ne sais pas… il disait des choses incohérentes.
— On en parle après si tu veux bien ; j’ai besoin de ton aide pour administrer le médicament à Hector. Faut lui mettre dans la gueule alors essaie de l’attraper et de le tenir s’il te plaît.
— Il est où ?
— Sous le lit ; il se cache.
Après plusieurs essais infructueux, des coups de griffes, des feulements et des stratagèmes inefficaces, ils se laissèrent tomber sur le canapé pour attendre qu’Hector veuille bien, de lui-même, se décider à sortir de sa cachette.
— Comment on va faire, se lamenta Elsa.
— On va lui mettre dans sa pâtée et il n’y verra que du feu… dans sa pâtée ! DANS SA PÂTÉE !
— Quelle joie ! On dirait Archimède dans sa baignoire…
— Je vais au labo !
— Maintenant ??
— Oui ! J’ai compris ce qui arrive au professeur…
Elsa n’eut pas le temps de répondre ; Stéphane attrapa son sac à dos, se rua dehors, dévala les marches, laissant derrière lui une Elsa décontenancée et le champ libre à Hector pour s’enfuir dans l’escalier.

Au labo, Stéphane arriva complétement essoufflé devant le professeur.
— C’est Seal qui vous a fait ça !
— C’est qui Seal ?
— Professeur, vous me reconnaissez ?
— Bien sûr, tous les jours vous faites le ménage ici…
— Non ! Je suis votre assistant ! Seal vous a empoisonné. Enfin, façon de parler. La fiole disparue, vous vous rappelez ? Il l’a volée et vous a fait avaler les bactéries dans votre vol-au-vent que vous avez tant aimé. Il faut intervenir. Vous êtes en train de développer Alzheimer. Il voulait vous ridiculiser, vous empêcher de gagner. Et c’est pour ça qu’il s’est enfui. Il n’est pas dans une université. Il est parti se cacher.

Stéphane emmena de force le professeur à l’hôpital. En chemin il appela le doyen pour obtenir son soutien dans un traitement d’urgence de Lessek par un transplant de bactéries.

On ne revit jamais le professeur Seal qui vivait peut-être à des milliers de kilomètres et le professeur Joseph Lessek repris son expression favorite : « Et je m’en fous ! ». En novembre, le professeur, encore convalescent, reçut le prix de la recherche mais c’est le jeune Stéphane qui fit la présentation. Mais il se rétablirait, comme beaucoup d’autres malades désormais au grand soulagement de leurs proches.


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